Quand on aime, il faut partir !
Heureux et fier, j'ai dit au revoir hier - au conseil national 2025 de l'Union Syndicale Lycéenne - à trois ans de syndicalisme lycéen. Heureux et fier que notre syndicat vive. Heureux et fier de la relève qui arrive. Persuadé qu'elle a tout de force et d'intelligence pour continuer le combat révolutionnaire. Qu'elle sait ce qui l'attend dans les moments à venir: nous l'avions placardé au Conseil national de 2023 de la Voix Lycéenne. "Reconstruire, réunir, riposter". En créant l'USL, avec le reste d'une génération dans laquelle nous resterons pour certains des compagnons et amis pour la vie, nous en avons accompli une partie. J'ai aimé tout cela. Et un jour, quand on aime, il faut partir !
Se sont refermées hier matin trois années de vie extraordinaires, au cours desquelles je participai au syndicalisme lycéen en renaissance. Je les ai commencées à 15 ans, à Tours, par la création avec Tristan Neveux de la branche départementale de La Voix Lycéenne, et un fulgurant mouvement social lycéen. On n’est pas sérieux quand on a 15, 16, 17 ou 18 ans. Et il ne faut pas trop le devenir malgré l’âge. Pourtant hier à notre Conseil national, quand je regardai une dernière fois comme leur président les responsables de l’Union Syndicale Lycéenne, j’avais le sentiment d’avoir fait de ces trois ans œuvre utile de quelque chose.
De l’extérieur, on a connu de moi le porte parole que j’ai été, pendant la réforme des retraites et une deuxième fois pendant le Nouveau Front Populaire, de « la jeunesse » ou de « la cause lycéenne ». Et il est vrai que j’ai accepté de l’être, en refusant aussi beaucoup des personnifications voulues par la caste médiatique qui me regardait tout à la fois en admiration et en mépris calme. Venant d’un milieu social où l’on connait discursivement les réalités de classe mais où elles sont en fait aseptisées, et qui m'a transmis beaucoup des capitaux culturels utiles à l'action politique, l’idée d’être ce que Césaire appelle « la bouche de ceux qui n’ont pas de bouche » m’allait. Mettre au service des autres ces aptitudes socialement situées. Mais mon engagement était aussi motivé par la volonté de faire plus que de parler. Agir concrètement, travailler, être maître d’une discipline personnelle et collective indispensable. Dans notre construction, le facteur imprévisible a été la rencontre avec mes plus proches camarades, venus eux de milieux que je n’eus jamais compris sinon. Il faut dire qu’il y a peu d’organisations de jeunesse qui permettent aux prolétariats ruraux et racisés de s’y accomplir comme l’est aujourd’hui l’USL. Tout cela a permis une compréhension collective beaucoup plus forte de ce qu’étaient les nécessités à accomplir pour le syndicalisme lycéen. Avant les autres, nous avons compris le besoin d’unité dans l’action avec la gauche non-syndicale, l’indispensable réinvention des cadres théoriques en introduisant l’antifascisme, l’antiracisme et le collectivisme en éléments très nouveaux et centraux. La Palestine a aussi pris une place importante. Le fait que l’ambassadrice de Palestine, Hala Abou Hassira que nous recevions ce week-end nous ait remercié des mobilisations lycéennes et de notre construction politique autour de la Palestine est ainsi source pour moi d’une grande fierté du devoir accompli. En interne, la féminisation et la représentativité étaient des besoins urgents qui ont progressé au fil du temps. Je suis reconnaissant du choix qu'avaient fait les premiers en choisissant de me faire rester responsable fédéral sur toute l'année scolaire 2022-23. Et comprendre ce choix m'a permis de refuser la première présidence de l'USL, en 2024, pour me consacrer davantage à l'élaboration des nouvelles données structurelles du syndicat. Et à mon échelle, durant trois ans, j’essayais d’être à la fois dans la parole, la pratique et la pensée de ce qui devait être. Quelle formation merveilleuse !
Heureux et fier, je regardai hier matin mes camarades avec l’étrange sentiment de ne plus avoir en commun avec eux une partie de l’identité politique mienne. C’est en fait que la petite histoire de notre renaissance, d’une génération qui a eu peu d’occasion de dire au revoir, et celle de l’unification de notre syndicalisme n’est plus une mémoire directe pour ceux qui animent désormais l’USL. Et c’est normal, c’est fatal, c’est le temps ! Mais au fond, je me trompai car les nouveaux militants à tous les niveaux ont les moyens de réussir et de ne pas reproduire les erreurs du passé. Ils adhèrent pleinement aux buts de l’USL et savent qu’ils devront aller de l’avant pour éviter l’immobilisme ou le syndicalisme de réaction immédiate. Bien sûr, ils devront comme les précédents, buter sur quelques obstacles pour en tirer les leçons. Je crois que mes successeurs ont pour eux toutes les qualités. Sofia Tizaoui à la présidence, je ne pouvais pas espérer mieux, car elle incarne tout à fait différemment ce que nous sommes, et a pour elle une rigueur et une intelligence des situations sans faille. C’est aussi devenue une amie. Ryad Rani, secrétaire général, saura se concentrer sur la tâche de structuration et de renforcement du lien entre la base et l’exécutif du syndicat.
« Reconstruire, réunir, riposter ». J’ai aimé militer pour tout cela. À l’heure de l’effondrement écologique et des bascules politiques où un nouveau monde se dessine, la « riposte » révolutionnaire est en la nécessité urgente, que commandent toutes les autres. C’est la dynamique même du capitalisme d’aujourd’hui. Au niveau international Gaza en a été une preuve, alors qu’est bafoué le droit et que l’ordre établi apparait comme injuste. Au niveau des lycéens français, Parcoursup était entre autres le symbole de l'ordre néolibéral dans lequel il n'y a plus que des individus en concurrence, face au retrait de l'État. Enfin dans l'espace politique français, la "riposte" sera forcément le fruit d’une politique de front unique face au fascisme. En premier lieu le mouvement syndical doit se réinventer après 2023 et à cet égard les syndicats lycéens et étudiants doivent jouer en complémentarité de la "maison commune" qui se construit. En autonomie vis-à-vis de tous, grâce à la reconquête des espaces électoraux que nous avons bien entamée. Au général, la "riposte" n’existera pas sans que l’islamophobie soit combattue pleinement. Elle détruit le quotidien social et empêche au niveau politique la formation d'une classe pour soi. Et l'islamophobie ne pourra pas être combattue tant qu'on ne comprendra pas son fonctionnement structurel complémentaire avec l'antisémitisme. Voilà ce qu’ont, entre autres, les syndicalistes de l’USL à accomplir. Dans tous ces objectifs collectivistes, de rupture avec l'ordre bourgeois et de reprise en main des biens communs, je me dis que l'USL peut désormais tracer chemin. Elle le doit en se structurant et se renforçant encore et encore. Elle vit, elle vivra. Grâce aux anciens et aux surtout aux nouveaux syndicalistes, "sa bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, sa Voix (lycéenne), la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir".
"Gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse..."
Manès Nadel
7 juillet 2025
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