466 jours


Et soudain hier, le 466e jour du génocide est devenu le 1er jour de la paix.

Le cessez-le-feu était attendu. Je ne veux pas m'exprimer en longueur sur ses conséquences. Je veux dire maintenant ce que ces 466 jours ont été et ce qu'ils sont d'appuis pour la suite.

Du 7 octobre au génocide

Les vidéos du 7 octobre m'ont marqué à vie. Les images de cette femme trainée derrière un 4x4 du Hamas, battue, sont toujours dans mon esprit. Dès après, j'ai même tweeté, le 9 octobre: "Comment relativiser les pogroms et la barbarie des meurtres à bout-portant comme des actes de résistance ? Une vie palestinienne vaut une vie israélienne, et cela vaut dans les deux sens".

Je ne retire rien à cette émotion mais je reviens désormais sur le "pogrom". Si atroces soient-elles, les exactions du 7 octobre n'ont avec le recul rien du pogrom. Ce terme historique définit une situation d'attaque d'une majorité sur une minorité, comme ce que certains ont dû fuir en Pologne ou en Syrie parce qu'ils étaient juifs. Les attaqués du 7 octobre l'ont été parce qu'ils étaient juifs, en partie, mais d'abord dans un contexte d'oppression israélienne sur Gaza. Mais une vie vaut une vie et la suite aura montré qu'il n'en valait pas de même pour tout le monde.

Le passage de la riposte vengeresse à la fuite en avant génocidaire a été rapide. "Nous combattons des animaux humains" a dit Yoav Gallant dès le 9 octobre.

Ensuite, durant des mois: siège de Gaza, blocage de l'aide humanitaire, de l'entrée des journalistes, bombardements, invasion de Gaza Ville, tirs dans la tête d'enfants qui traversaient la rue, invasion de Rafah, incendie des camps de réfugiés, destruction de toutes les écoles, de toutes les universités, des hôpitaux, des tombes...

Tout cela, chacun aura pu le voir ou sinon en détourner le regard depuis la France.

Ici, nous avons vu le pire et le meilleur de l'humanité

L'explosion affective a été un fait majeur. Immédiatement, toute discussion sur l'état de la situation de l'avant-7 octobre a été considérée comme une infamie par ceux qui sont devenus, parfois contre toute attente, des soutiens inconditionnels de l'action d'Israël. Vite, l'accusation d'antisémitisme a été instrumentalisée pour accuser les pro-palestiniens.

Au sein de la très élargie et très hétérogène "communauté juive", les fractures ont été immenses. La justification quasi-épidermique de chacun des actes israéliens par certains a été incompréhensible. Elle ne l'est toujours pas vraiment, mais il faudra à ceux qui ont appris à y résister du courage pour écrire, parler, et penser la suite après ce génocide détourné du regard.

Bien sûr, il s'agissait de réactions sociales, de gens qui ont vu dans le 7 octobre une résurgence pure des persécutions antisémites, ce qu'il n'était pas de toute évidence, et qui ont cru au récit Israélien qui réclamait une adhésion entière à la réponse de Netanyahu.

J'ai pour mémoire ce message d'une ex-camarade de classe, après mon passage au blocage de Sciencespo Paris, qui me traitait de traître à son identité. Du collectif venu perturber le contre-rassemblement du 12 novembre et qui me montrait du doigt comme un faux juif.

Combien d'autres dans ce cas ? Déchirés par ces insultes ? Mais nous avons peu a peu su comprendre ce qui se jouait. L'idéologie anhistorique, raciste et suicidaire qu'est le sionisme d'aujourd'hui n'est plus tout a fait celle d'hier. Peu importe. La justification continue, parfois inconsciente, du génocide a été le pire visage de la société française. L'aide financière, matérielle et morale au génocide de la part des grandes puissances a été une faillite.

Mais le plus beaux visages de l'humanité sont aussi apparus en résistance au génocide.

Je parlais de ceux qui ont commencé à construire une judéité en opposition à Israël et en solidarité avec Gaza et la Palestine. Mais l'élan humaniste était bien plus large.

Les mobilisations sociales, lycéennes et étudiantes ont balayé tout amalgame entre les juifs français et Israël. Elles ont poussé un formidable cri du cœur, une formidable révolte de l'esprit qui ont politisé toute une jeune génération. Il n'y avait pas acte plus solidaire avec le peuple palestinien que celui-là.

Plus personnellement, j'ai le souvenir ému du témoignage d'un lycéen d'origine palestinienne lors du blocus de mon lycée Buffon pour Gaza. De l'écrivain Karim Kattan venu comme président d'honneur du 1er congrès de l'Union Syndicale Lycéenne. Je me rappelle de Lina, mon amie syndicaliste quand elle m'a offert mon premier keffieh. De toutes nos manifestations. Enfin, le souvenir lumineux de ma rencontre avec l'ambassadrice Hala Abou Assira, le jour anniversaire de le Nakba.

Partout où la peine était, alors que les vidéos du génocide ne cessaient d'affluer, j'ai rencontré des militantes et militants qui m'ont beaucoup appris, et ont mis du courage là où il fallait trouver de l'espoir. Alors que le cessez-le-feu réclamé tant de fois arrive, j'ai une pensée pour eux.

L'absence de guerre ne suffira à rien. L'apartheid reconnu et la colonisation vont continuer. Les Palestiniens seront-ils encore abandonnés ? Ici, les actes antisémites, leur instrumentalisation et la récupération ne connaîtront pas de pause.

Ces 466 jours ont tant assassiné la Palestine. Ils ont tant meurtri le reste du monde. Mais le beau est arrivé dans le combat. Des esprits se sont ouverts et en ont éveillé d'autres à leur tour. 

Ils nous ont en somme montré quelle réponse la lutte politique pouvait apporter à une guerre lointaine. Ils montrent ce que la génération née doit faire maintenant qu'il y a un cessez-le-feu, et que le conflit va être à nouveau tut.

Puisse émerger une grand mouvement pour la paix révolutionnaire en Palestine. Il faut ici forger une nouvelle judéité pour qu'elle ne soit plus rattachée, meurtrie par ce qui est devenu un génocide et un suicide. Sinon, le pire est certain. Mais 466 jours nous ont montré que dans la nuit, une humanité nouvelle nait et commence le combat.
 
Manès Nadel
Ce texte n'engage que moi.

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